Aux Pasteurs de l´Église d´Haïti:
Pour une pastorale d'action
Nous sommes des
êtres historiques insérés dans la société avec des dimensions sociales,
politiques, économiques, religieuses et culturelles. Ses dimensions constituent
un défi de plus en plus complexe.
Nous agissons de
manière positive sur la société dans la mesure où nous sommes aptes à
développer des projets qui la transforment avec le désir de changer la réalité
dans laquelle nous vivons. Dans ce contexte, l 'expérience de notre foi
chrétienne ne peut pas manquer de conduire à une préoccupation constante pour
la construction d'un monde plus humain. Nous sommes appelés à donner, à la
lumière et la puissance de l'Évangile , une contribution spécifique et
indispensable à l'humanisation de la société avec le message de l'Évangile
comme une force libératrice qui conduit à la conversion du cœur et de la
mentalité.
Ayant comme
point de départ le point de vue présenté, cette réflexion vise, d´une part, à montrer
le véritable problème d'Haïti, d'où jaillissent les autres problèmes.
D' autre part,
être conscient de la situation, cela nous obligera à élaborer et mettre en
oeuvre un plan d´action visant l´amélioration des problèmes. Il s´agit, en d´autre thème,
d´une nécessité pastorale.
Enfin, notre
réflexion se terminera par une suggestion ou une proposition pastorale capable
d´aider dans la transformation de la réalité.
Problème tout le monde a
Qui n' en a pas?
Après
l'implantation de la démocratie en Haiti, le pays fait face à une instabilité
politique et de diverse crise qui affectent negativement son développement
socio-politique et économique. Quand une crise semble être résolue, d´autres
encore surgissent. Dans ce contexte, la Communauté Internationale se voit
toujours dans un “va-et-vient” dans le but de contribuer à résoudre ses crises.
En raison de cela et d'autres facteurs non mentionnés ici, j'ose souvent dire
que: le problème fondamental d'Haïti
n'est rien de plus qu'un problème socio-politique d´oú sont venus les autres
problèmes existants dans le pays, aggravé par le séisme de 2010. Compte tenu de l'évolution de ce contexte
socio-politique, encore une fois, je crois que: le problème d'Haïti, avant d'être international est haïtien.
Pour aggraver
encore la situation du pays, les médias internationaux insistent sur
l´utilisation et la divulgation, en toute mauvaise foi, de certaines images du pays, menant les téléspectateurs et les auditeurs en erreur et en les forçant à
croire que, Haïti est seulement un pays de pauvreté. Ce qui est absolument faux
et malhonnête. Ils montrent un visage du pays et ils cachent l'autre. Autrement
dit, ils montrent la pauvreté, et ils cachent la richesse. Ainsi, tout le monde
finit par croire en cette fausse image fabriquée et présentée.
Dans cette
conjoncture d´instabilité dans laquelle se trouve le pays, les politiciens
haïtiens, la grande majorité, sont les principaux responsables. Telle
instabilité génère la misère, l'insécurité, la délinquance, le chômage, la peur
etc. Avec cela, il y a plus de tentation à quitter le pays pour aller ailleurs.
D'autre part, le
pays est privé de son autonomie politique et économique. Ainsi, les grandes
décisions finales viennent toujours de l'extérieur, imposées et conditionnées.
Il y a toujours des justifications idéologiques.
Dans notre
réflexion, nous n'avons pas l'intention de mélanger la religion et la politique,
sinon montrer de quoi s´agit-il du problème du pays. Cela donc nous permettra
de percevoir la nécessité pour une nouvelle perspective pastorale comme un défi pastoral.
En comparant la
pastorale de l'Église d'Haïti, dans les années 80, un peu avant la chute de la
dictature militaire, à celle d´aujourd´hui, on peut noter une très grande
différence. Il s´agit d´un manque pastoral (une carence pastorale) ou, encore,
d´une discontinuité pastorale. Discontinuité dans le sens de ne pas poursuivre
la même pastorale avec ferveur et sérénité. Ses années ont été marquées par un
plus grand engagement chrétien, qui préconisait la même cause pour une société
haïtienne plus digne et libre. Les différentes communautés chrétiennes se
réunissaient pour partager la Parole de Dieu, tous les pays de l´ Amérique Latine y compris les pays de la Caraïbes, connus sur le nom: Communautés Ecclésiales de Base (CEBs).
Comment
les pauvres peuvent vivre en paix s´ils n´ont pas de droits d´accès et d´une
qualité de vie adéquate?
Comment
peuvent-ils vivre heureux si leurs gouverneurs sont guidés par le désir de
profit et la soif de pouvoir cherchant ses propres intérêts?
Comment
peuvent-ils vivre en paix si le bien commun n'est pas à leurs services, sinon à
une minorité?
La nécessité
La nécessité
Deux siècles de
lutte et près de trois décennies d'instabilité politique (de démocratie) après
la chute du pouvoir dictatorial. Cela, en effet, répond à un besoin plus urgent
de réfléchir et nous interroger, en tant que chrétiens. Et cela nous exige et
nous veut une réponse concrète. Quoi faire maintenant?
Le Concile
Vatican II a affirmé de manière plus ferme l'importante de la mission et le
rôle de l'Église dans le monde lorsqu'il écrit que « l'Église, en
poursuivant la fin salvifique qui lui est propre, ne communique pas seulement à
l'homme la vie divine, elle répand aussi, et d'une certaine façon sur le monde
entier, la lumière que cette vie divine irradie, notamment en guérissant et en
élevant la dignité de la personne humaine, en affermissant la cohésion de la
société et en procurant à l'activité quotidienne des hommes un sens plus
profond, la pénétrant d'une signification plus haute. Ainsi, par chacun de ses
membres comme toute la communauté qu'elle forme, l'Église croit pouvoir
largement contribuer à humaniser toujours plus la famille des hommes et son histoire »[1].
L´Église d´Haïti doit se bouger un peu plus,
en créant une nouvelle perspective pastorale, une nouvelle vision de la réalité,
une nouvelle stratégie, une nouvelle méthodologie, etc.
Une nouvelle
perspective pastorale devient l'élément clef pour mener à bien une pastorale
plus efficace, capable d'affronter le contexte actuel du pays et qui peut mener
à un processus de conscientisation. De
ce fait, il revient à l´Église d´Haïti
une exigence pastorale plus efficace et concrète ayant la même orientation
valable pour tout le pays, bien sûr, sur la prise en charge de nos pasteurs.
Une pastorale plus engagée dans les zones abandonnées. Dans ce cas, l'Église en
Haïti devrait jouer un rôle plus actif en tant que protagoniste de l'histoire,
dans la construction d'une société meilleure où elle devrait être un témoin
plus vivant de l'efficacité et de la valeur de son propre enseignement.
La suggestion
La suggestion
Comme chrétiens,
nous avons la responsabilité de poursuivre la mission que Jésus-Christ a donnée
à ses apôtres : vivre et pratiquer
sa Parole. À cette fin, le Brésil a lieu chaque année, la Campagne de Fraternité,
qui vise à promouvoir le débat public sur des questions graves qui touchent le
pays et qui affectent ses citoyens. Ainsi,
en regardant notre réalité haïtienne, nous nous interrogeons sur la pastorale.
En ce sens, je
pense que la meilleure voie qui pourrait aider Haiti vers une nouvelle
perspective pastorale libératrice ou transformatrice, c´est de mettre sur pied “une
Campagne de la Fraternité” et la relecture de quelques documents de
CELAM, tels que: Medellin et Puebla.
La Campagne de
la Fraternité[2] est un thème propre de l´ activité de l´église du
Brésil depuis 1964. Née avec le Concile Vatican II qui a été convoqué par le
Pape Jean XXIII, en vue de réveiller la conscience des chrétiens sur la
nécessité d´une présence transformatrice de l´Église dans la société. Les
évêques brésiliens ont vu la nécessité pour une action plus concrète, ils ont
proposé chaque année un thème de réflexion qui est terminé par un geste concret
de fraternité. Le thème est choisi à partir de l´identification d´un aspect de
la vie dont cette fraternité est blessée. Le choix des sujets se fait par la CNBB:
Conférence Nationale des Évêques du Brésil. C'est une façon d'évangéliser,
portant la parole de Dieu au coeur de chaque hommes et femmes, afin de mieux
construire le Règne de Dieu dans une fraternité.
Une telle
Campagne pastorale serait un processus de conscientisation et d´urgence vers une
nouvelle évangélisation. Des thèmes qui pourraient également aborder la réalité
sociale du peuple haïtien. Dans cette perspective, il reviendrait à l´église
haïtienne une grande responsabilité de guider le peuple vers une pastorale
libératrice et transformatrice luttant pour des changements dans tous les
niveaux sociaux.
Cette nouvelle
action d´évangélisation exige des actions concrètes qui pourraient apporter des
éléments positifs dans tous les aspects de la vie. En d´autres termes, il
s´agit d´un agir pastoral pour motiver et conscientiser l´engagement
socio-politique de l´homme haïtien à la recherche d'un avenir meilleur pour
Haïti.
La prédication
du Christ est de proclamer la libération des opprimés, le salut du monde, la
construction d´une société nouvelle, etc. Pour l'Église, le message social de
l'Évangile ne doit pas être considéré comme une théorie, mais plutôt un
fondement et une motivation de l'action (centième Annus, 57).
Conclusion
Je crois que la
responsabilité et l'engagement de chaque communauté chrétienne, la Parole de
Dieu, le retour aux documents de Medellín et Puebla et le pasteur de la
Communauté comme guide, c´est déjà le chemin pour la lutte d´une société
meilleure, car il est écrit dans notre drapeau: Liberté, Égalité et Fraternité.
Nous possédons
encore des mots comme: liberté et libération. Par
conséquent, il est important de revenir sur le passé en tenant compte de ces
mots. Cela nous aidera à voir que nous devons d'abord nous libérer, libérer
tout ce qui nous empêche de construire notre pays et, enfin, libérer le pays.
Enfin, j ´aimerais
laisser très clair que cette réflexion n´est pas une critique, mais elle
voulait jeter un regard de foi sur la situation du pays et proposer un chemin,
à la lumière de l’Évangile qui pourrait contribuer à une nouvelle perspective
pastorale.
Le vrai
changement se situe au niveau profond des mentalités et des coeurs, mais il ne
serait rien, s’il ne produisait pas de fruits visibles.
Je pense que nous sommes, donc, confrontés à ce défi
pastoral, à la fois urbain et rural.
Pierre
Dieucel
[1] Gaudium et spes n°40 §3
[2]
La Campagne de la Fraternité, CF (A Campanha da Fraternidade) se développe
chaque année pendant le temps de carême au Brésil, cherchant éclairer et
approfondir la préparation à Pâques. Elle propose un thème et une devise. Par
exemple, le thème de cette année 2014 est: Fraternité et trafique humain.
Dévise: c'est pour que nous restions libres que le Christ nous a libérés (Gl,
5,1).
[3]
L'objectif de cette campagne serait d'identifier les réalités sous ses diverses
formes et les dénoncer, mobiliser les chrétiens et la société haïtienne pour
éradiquer ce mal afin de racheter la vie des fils et filles de Dieu (par
exemple, la pauvreté et l'exploitation).
L'autre
objectif serait: dénoncer les structures et les situations qui provoquent la
situation de la misère, de l´ exploitation, etc. Et qui annonce une société nouvelle.